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Pour Rony
 
J’ai passé une après-midi de ma vie à la DDAS. J’avais treize ans, j’allais aux guides (les scouts pour les filles), et il était prévu que nous passions une après-midi là-bas. J’écris « là-bas » parce que je ne sais pas quoi écrire d’autre.
 
Nous sommes arrivées au début de l’après-midi, nous sommes entrées dans une salle immense et vide, comme une salle de réfectoire en plus grand, un espace propre et net. Du plafond pendaient des néons gigantesques à l’éclairage pisseux ; cette lumière fade nous tombait droit dessus comme une douche froide.
 
A ce moment où nous attendions en silence, dans cette salle déserte, les enfants sont arrivés. Je les revois. Je les revois, et je les revois comme si c’était hier.
 
Ils marchaient en rang deux par deux, à petits pas, par groupes d’âge, environ de quatre à huit ans, en se tenant par la main. Ils portaient les mêmes vêtements, à l’identique, et des bottes blanches en caoutchouc. Tous portaient, comme des petits soldats, ces mêmes vêtements, ces bottes impeccablement blanches, dans cette salle vide, prore, et nette. Quand tous les enfants ont été là, ils ont eu l’autorisation de se lâcher la main et de se disperser. A partir de ce moment ils ont commencé à devenir des enfants.
 
L’un réservé, l’autre en retrait et à l’écart, d’autres encore jouant ensemble ou se disputant. Et nous, essayant de nous mêler, d’aller vers eux, d’établir un contact. Petit à petit les jeux se sont organisés, il y a eu des cris, des rires, des poursuites, des bousculades, comme dans une cour de récré. Les enfants ont pris confiance.
 
Je me souviens d’une petite fille, très affectueuse, câline, recherchant les bras, les corps, le toucher. Je me souviens qu’elle s’est spontanément dirigée vers Estelle, la plus douce, la plus souriante, la plus maternelle d’entre nous. Estelle s’est accroupie près de cette petite fille, elles ont joué ensemble, Estelle l’a prise dans ses bras. Je me souviens de voir autour de moi le besoin de partage, de fous-rires, d’embrassades. Je me souviens de regarder leurs cheveux, leurs dents, leurs vêtements, leurs corps en mouvement, virevoltants, vivants, riants, leurs sourires et leurs rires d’enfants, sans comprendre.
 
Pourquoi ces enfants étaient-ils tous habillés de la même façon ? La bizarrerie de ces bottes en caoutchouc blanches dans la grande salle. L’étrangeté de leur uniforme. Uni-forme, unis dans la forme, orphelins. Tous orphelins. Pourquoi ces enfants n’avaient-ils pas de parents ?
 
Quand ils sont repartis, il y a eu des échanges de promesses, des à-bientôt, des aurevoirs, des baisers, des caresses, des embrassades et des déchirements, des pleurs, des pleurs d’enfants.
 
Sabine Bourgois